Dernières nouvelles

En fait de nouvelles c'est plutôt un bulletin de santé que je vous donne et il n'est pas brillant : ça fait dix jours que je marche avec des tendons d'achille raides comme des piquets, à cause de tendinites à la base du talon. Si jusqu'à présent je pouvais marcher sans trop de mal, ce lundi j'ai été obligé de dévier ma route et de m'arrêter à Saint Palais, sympathique petite ville du Pays Basque ou se trouvent des franciscains. En fait je ne suis qu'à un jour de marche des Pyrénées.

Pour l'instant j'évalue les possibilités qui me restent. Un docteur m'a conseillé une semaine de repos, un kiné m'a dit de faire une infiltration, alors j'ai été chez un orthopédiste. Celui-ci était très mécontent, il a fait les infiltrations mais tout à fait contre son gré. Pour lui la seule chose qui a du sens c'est le repos, il m'a dit qu'il fallait deux à trois semaines de repos pour une guérison. Bref je suis dans l'expectative. Il me reste environ 740 kilomètres, j'en ai fait deux cents avec des tendinites mais je ne pourrais pas en faire sept cents, donc la sagesse me commande de me reposer puis de voir comment ça évolue. En dernier recours je suppose que je ferai du stop, je verrai bien au moment voulu.

Pour l'instant mon idée est de repartir lundi, soit après une semaine de repos. Je pense que mes tendons vont déguster dans les pyrénées, avec les 17 kilomètres d'ascencion, mais l'envie de basculer de l'autre côté est trop forte. Alternativement je peux mettre le cap sur Lourdes qui n'est qu'à quatre ou cinq jours d'ici, y espérer la guérison, puis repartir vers Compostelle. En tout cas, malgré les tendinites, je n'ai vraiment aucune envie de m'arrêter, je dois être tombé amoureux du chemin. D'ailleurs à aucun moment, même quand les tendons souffraient et que je ne pouvais pas m'arrêter à cause de la pluie battante, je n'aurais voulu être autre part que sur le chemin.

Lundi matin j'ai fait mes adieux à Stefan et Katerina, deux allemands avec qui j'aurais pas mal marché. On a pleuré tout les trois en se quittant, c'est étonnant comme le chemin nous rend tous émotif. Stefan m'a laissé un morceaux de coton qu'il avait reçu en Suisse et qui a touché une statue miraculeuse du Christ, il a dit que ça pourrait me guérir. Du coup me voilà esseulé, il ne passe plus de pèlerin ici surtout que je suis hors du chemin à Saint Palais. Ce n'est pas plus mal car marcher avec d'autres quand on a des tendinites n'est pas facile, on risque de forcer pour les suivre. Aux dernières nouvelles il restait Sarah derrière moi, je recevais parfois des nouvelles par ceux qui vennaient de l'arrière. Il y a aussi Wilheim, un Suisse allemand de soixante ans et qui m'a impressionné par son courage : il est parti le premier juillet, ensuite il a eu une périostite à la jambe droite et il est retourné à Zurich se faire soigner. Puis il est reparti mais maintenant il a une périostite à la jambe gauche ! Alors il avance très lentement : quinze kilomètres par jour, il prend un jour de repos tout les quatre jours. On s'est réconforté mutuellement pendant une heure puis je l'ai laissé derrière moi. J'aime beaucoup cette diversité de manière de faire le chemin, ainsi quel contraste avec Pavel par exemple, un tchèque parti de Pragues et qui fait quarante kilomètres chaque jour.

Dans un mail précédent je disais que c'était un autre pèlerinage qui commençait, je souris en y repensant car je ne savais pas si bien dire ! En effet mes tendons occupent la plupart de mes pensées, j'y pense presque à chaque pas. Mais pourtant jamais je n'aurais voulu être ailleurs. Car le chemin est vraiment merveilleux. Le paysage et les gens changent quasiment tout les jours. Entre Figeac et Cahors c'était le Quercy, en particulier la traversée des causses du Quercy : des terres calcaires et arides ou rien ne pousse si ce n'est des forêts de chênes pubescents tout rabougris qui restent petits malgré leur grand âge. C'est un spectacle émouvant. On emprunte des chemins de pierres, tout rouge quand le fer se mêle au calcaire, tout blanc sinon. En été il y fait une chaleur écrasante et le paysage doit prendre encore une autre dimension.

Plus loin il y a eu Moissac et son abbatiale ou on a été très bien acceuilli par des soeurs d'une communauté nouvelle. Ensuite la traversée du Gers, une région très fertile. Il y a fait très beau, même estival. La végétation est parfois méridionnale, avec des palmiers et des bananiers. J'ai aimé traverser la Gasgogne (on y fait l'Armagnac) : même si le paysage n'est pas aussi beau qu'en Auvergne ça a son charme, grâce aux châteaux, aux superbes cèdres à l'entrée des propriétés, des pins parasols et des belles petites villes qui contiennent parfois de superbes cathédrales. Je me suis arrêté un jour à Condom, une petite ville ou je me sentais très bien.

Après la Gasgogne j'ai fais un bref passage dans les Landes, pour la première fois j'ai vu les Pyrénées qui étaient encore distantes de deux cents kilomètres. Une journée superbe dans les landes, sur terrain plat - ce que j'apprécie particulièrement -, avec un vent chaud et humide qui venait de l'océan, et aussi les forêts de Pins. Ensuite le Béarn, le paysage est devenu très verdoyant, on voit des chênes de plus en plus gros.

Maintenant je suis en plein Pays Basque, une région magnifique avec un ciel qui change tout le temps. C'est le département Pyrénée Atlantique, dans la région Aquitaine. Le temps est devenu nettement plus frais et capricieux. A tel point que j'ai renvoyé ma tente au pays car la dernière nuit sous tente j'avais eu froid. Les gens ici sont gentils, plus qu'en Auvergne ou dans le midi. Ils sont fervents aussi : j'ai assisté à une messe de la Toussaint inoubliable, dans une petite église bondée, à tel point que j'avais du prendre place dans la tribune. Toute l'église chantait à tue tête en Basque, je crois qu'à part chez les Polonais je n'avais jamais assisté à une aussi belle messe. Pour la première fois aussi une vieille dame m'a demandé de prier pour elle.

Stefan est un des rares pèlerins qui marche sans argent, il s'abandonne à la providence. Ce qui veut dire qu'il loge en général dehors et qu'il mange beaucoup de fruits ou du pain qu'il demande dans les boulangeries. Avec lui j'ai dormi sous le porche d'une église, par une nuit froide et humide. D'autre fois j'ai trouvé un hébergement gratuit mais c'est plus difficile ici, surtout qu'au rythme de marche qui est devenu le mien j'arrive trop tard.

Voilà pour les nouvelles. Le moral est bon mais je m'inquiète beaucoup de mes tendons. Je supporte bien l'inactivité, je suis chez des franciscains qui ont une bibliothèque énorme, dans une ville relativement importante. Mais bien sûr je meurs d'envie de me lancer dans les pyrénées et de basculer de l'autre côté. Vu qu'il me reste encore deux mois le coup me parait jouable mais j'hésite toujours entre la technique de repos total pour espérer une guérison complète ou la technique de l'avance par petit pas. Je penche plutôt pour la deuxième technique car après quatre jours de repos je ne vois pas vraiment d'amélioration aux tendons. En plus les infiltrations de hier m'ont fait plus de tort que de bien je pense. Par contre l'hiver ne me fait pas peur, on m'a dit que les gîtes restaient pour la plupart ouvert en Espagne et puis en marchant on a rarement froid.

Alors voilà, pour le reste je remets le tout dans les mains du Seigneur et je le laisse me guider ou Il voudra. Bonne route à tous et merci beaucoup pour tout les messages d'encouragement, les pensées et les prières qui m'accompagnent.

Et bien sur, Ultreia!, et que Saint Jacques nous protège.