Dernières nouvelles

Bonjours à tous,

Voici les dernières nouvelles du pèlerin, un pèlerin qui doit bien faire attention à ne pas se transformer en randonneur ou en touriste dans cette ville grouillante d'animation et remplie de touristes qu'est le Puy !

«Un signe grandiose apparut dans le ciel : une Femme ! ». Telle la vision de Saint Jean dans l’Apocalypse, l’immense statue de la vierge dressée sur un pic rocheux et qui surplombe toute la vallée a de quoi émerveiller celui qui arrive au Puy-en-Velay.

Après juste un mois de marche me voici donc au Puy, au fond de l’Auvergne, à 830 kilomètres au sud de Bruxelles. 1600 kilomètres m’éloignent toujours de la tombe de l’apôtre, c'est beaucoup et peu à la fois. Ce premier mois restera tout à fait spécial pour moi car je suis resté livré à moi-même, beaucoup plus que je ne le serai dans la suite.

Un peu de géographie : j'ai traversé les régions de Champagne-Ardenne, de Bourgogne (précisement le pays du Morvan, c-à-d la partie occidentale de la Bourgogne, région couverte de forêts), l'Auvergne et j'ai fait une courte incursion de deux jours en Rhone-Alpe. Pour les départements, ça donne, depuis le début : Champagne, Aisne, Marne, Aube, Yonne, Nièvre, Allier, Loire, Puy-de-dome, Haute-Loire.

L’arrivée hier au Puy en fin d’après-midi fut complètement ratée : avec mon gros sac, en sueur après une journée de 40 kilomètres, je suis tombé dans une petite ville grouillante de touristes tout pimpants et je me suis senti complètement déplacé. Arrivé chez les sœurs de Saint-Jean, la sœur me dit que c’est complet et elle m’envoie au séminaire. Au séminaire on me dit que c’est plein, je m’apprête à sortir mon discours habituel comme quoi je demande juste un endroit pour mettre mon matelas et mon sac mais la dame s’occupe déjà de la personne suivante dans la file qui, elle, a réservé. Bref rien à voir avec l’accueil sympa des mairies dans le nord et la débrouille des jours d’avant. Ici il faut payer. C’est d’autant plus râlant qu'en fait je n’avais pas de raisons de passer ici et qu’à hauteur de Clermont-Ferrand j’avais hésité à bifurquer vers l’ouest (mais je ne l’ai pas fait à cause de la poste restante).

Je pense qu’un autre pèlerinage commence ici et que la solitude du premier mois, pendant lequel j’ai fait mon propre chemin sans passer par les GR, va me manquer. L’avantage de faire sa propre route c’est qu’on est mieux accueilli et plus facilement hébergé vu qu’on reste une curiosité. Je suis passé dans des villages ou le dernier pèlerin était passé il y a trois ans, alors qu’ici au Puy il en démarre chaque jours plusieurs. Enfin je verrai bien comment ça se passe, rien ne m’empêchera de quitter le GR si je veux et de reprendre mes bonnes vieilles cartes routières.

Retour en arrière : à Vézelay, ou je suis resté deux jours complets, profitant de la semaine monastique qui permet aux jeunes qui le désirent de vivre une semaine au rythme des moines. Je me suis procuré les quatre cartes IGN au 100 millième qui couvre la région entre Vézelay et le Puy, je les ai mises côte à côte et j’ai tracé une ligne droite entre ces deux villes. Je me suis efforcé pendant les deux semaines suivantes de suivre cette ligne, au gré des aléas et des rencontres bien sur.

Première étapes à Lormes : après quelques tentatives je trouve refuge dans un hôpital pour vieux, on me donne une chambre dans le pavillon des malades. Voir tout ces vieux en mauvais état m’a fait un choc, ça m’a renvoyé à ma propre finitude et à ma mort prochaine (je pense souvent à la mort ces derniers temps !). Par contre le service en chambre, y compris un service spécial pour le petit déjeuner à 6H30, et la gentillesse des infirmières, ça c’était formidable. Le soir j’ai discuté avec une petite vieille, Marie, qui m’a raconté de manière confuse les événements marquants de sa vie : à 12 ans on la met dans le train à Paris pour travailler à la ferme, en Bourgogne. Plus tard une dame vient la chercher pour être sa bonne, puis cette dame meurt et le papy la reprend à la ferme, … bref une vie digne d’un roman de Zola ce qui ne l’empêche pas de resplendir de joie de vivre et de me parler avec joie de son dernier repas de Noël ou elle a bu un verre de vin blanc. Quand je lui ai dit qu’elle était bien gentille elle m’a donné deux gros baisers et je suis devenu tout rouge devant l’infirmière qui rigolait.

Quelques collines et forêts plus au sud, je suis tombé sur un homme bon et pittoresque. Cet homme avait aménagé des gîtes pour touristes dans sa ferme mais sa mère avant de mourir lui avait reproché de faire des gîtes pour riches et de ne rien prévoir pour les pauvres. Du coup il a aménagé une cabane supplémentaire, la part du pauvre. Un hollandais voulait lui louer cette cabane à l’année, mais m’a-t-il dit : " Si je peux essuyer quelques larmes ça aura plus de valeur que les quelques milliers de francs du hollandais ".

J’ai été reçu très souvent dans cette région de Bourgogne appelée le Morvan : des grand-parents que mon passage a rendu heureux notamment. Je les ai rendu heureux simplement en les laissant s’occuper de moi, en buvant du rouge avec le vieux (il m’a dit qu’il buvait deux litres par jour), en discutant d’arbres avec cet homme amoureux de la nature et en discutant de ses enfants et petits-enfants avec la grand-mère. Le lendemain elle s’est levée à 6 heures pour me faire le café, me préparer un pique-nique et m’embrasser avec émotion ! En la quittant, je me suis trouvé à l’aube naissante dans un champ, et je me suis senti pris d’allégresse au contact de la nature, à tel point que j’aurais voulu embrasser chaque vache et caresser les arbres sur mon chemin ! Dans la nature, que ce soit le matin à l’aube ou après quelques heures de marche, il m’arrivera encore des vrais moments d’allégresse. Le contact avec la nature, le bonheur de se sentir vivre, la grâce de vivre pleinenement dans le moment présent. Et puis en fin d'après-midi, quand l'hébergement est assuré, après la douche et la lessive et que je trainasse sur la place dui village : c'est des moments de vrai bonheur.

Il y a eu beaucoup d’autres de ces rencontres formidables, notamment deux couples de limbourgeois qui ont tout vendu en Belgique pour acheter une ancienne colonie de vacance et y faire des gîtes. Une soirée inoubliable avec ces gens vraiment ouverts et très intéressés par ma démarche. Et j’ai eu le plaisir de voir les enfants galoper avec des sacs à dos et des cartes en me disant fièrement qu’ils jouaient aux pèlerins !

Après la Bourgogne et sa succession de collines boisées et giboyeuse (pour les arbres : du chêne principalement, un peu de sapin aussi, douglas et pins), j’ai traversé la Loire et je me suis retrouvé en Auvergne. Une nuit dans la très grande trappe de Sept Fonts ou pas moins de 80 moines ont bercés ma nuit de leurs chants lors de l’office de 3H30 du matin auquel je n'ai pas eu le courage d'assister. Après les laudes le frère hôtelier m’a fait le privilège de me laisser assister à une prise d’habit, cérémonie sobre et émouvante.

Après quelques jours de plaine, je m’attaque aux montagnes du massif central, exaltation des sommets et temps superbe. Il fait froid mais ensoleillé, le ciel est bleu et l’air pur. Je marche mes trente kilomètres sans fatigue. Immenses forêts de sapins (épicéa surtout), et aussi des hêtres qui commencent à déballer leur livrée d’automne. Les premières gerbes du grand feu d’artifice qui s’annonce et dont je devine la magnificence prochaine. A signaler aussi en montagne : dans un petit village ravissant ou je suis logé sur le terrain de foot, après quelques verres de vin bu avec un couple qui m’avait retenu à manger, je décide de dormir sous le superbe ciel plein d’étoiles. Mais à 3 heures du matin, mon sac de couchage est transpercé par le vent glacial et je rentre bien vite dans mon petit local de l'arbitre. Partie remise j’espère.

Il y a quelques jours j’ai rencontré Pascal, un randonneur de Bruxelles qui fait Vézelay – Le Puy. On a fait un bout de route ensemble, on a discuté tout le tempsr. La journée est passée à toute vitesse. On s'est quitté le lendemain car je faisais un crochet pour passer à la chaise Dieu dans la communauté de Saint Jean et j’étais content de retrouver ma solitude. En fait depuis le début je chéris et bénis la solitude qui est la mienne sur la route et j’appréhende un peu la suite ou fatalement je vais rencontrer plein d’autres pèlerins. On verra.

«Quand bien même j’aurais une foi à déplacer les montagnes, si je n’ai pas la charité je n’ai rien» dit Saint Paul. A ce niveau j’ai tout vu ! Le meilleur souvent, je suis même tombé sur un type qui voulait me donner de l’argent, mais parfois le pire. Comme les frères religieux qui m’ont éconduit sèchement alors que j’avais fait un détour pour passer chez eux. Et puis la grande masse, ceux qui discutent, qui m’offrent à boire, parfois le thé et les biscuits mais qui ne vont pas jusqu’à proposer l’hébergement (je ne demande pas explicitement, sauf à la Mairie évidemment). Ou qui se ferment quand la question du logement se pose : ainsi un couple de retraité hollandais bien sympa, je parle en flamand avec eux, puis quand j’explique mon mode d’hébergement l’homme se tourne vers ses fleurs et coupe court à la discussion. Je pense qu’ils ont du regretté après l’occasion de m’avoir hébergé mais je n’en sait rien. En tout cas les plus ouverts et charitables sont aussi les plus épanouis, ça saute aux yeux. Et souvent chez ces gens j’ai le plaisir de sentir que ma présence leur a apporté quelque chose. Et qu’on parlera encore de moi, dans trois ans, lorsque le prochain pèlerin passera.

Bon, j’en reste là, je me rends compte que j’ai été beaucoup trop long. Je vous ferai peut-être part de mes méditations qui tournent le plus souvent autour du bonheur dans un autre mail. En marchant parfois les choses s'éclairent, c'est étonnant.

Alors comme d’habitude : Ultreia! Et que le bon Apôtre Jacques nous garde et nous protège. Bonne route à tous

Pierre