Dernières nouvelles

Bonjour à tous,

J'ai eu beaucoup de messages qui m'ont fait énormément plaisir en réaction à mon dernier mail, je ne peux pas répondre mais ça m'a fait vraiment plaisir. Encore merci.

Je suis à Figeac, une belle petite ville du midi, dans la vallée du Lot. Je prends un jour de repos, je suis logé au Carmel, et j’en profite pour donner des nouvelles fraîches.

Après quatre jours d’arrêts à Saugues, je suis reparti pour des petites étapes de plus ou moins quinze kilomètres. Sans être une vraie douleur j’ai toujours une gène au tibia : Ça m’inquiète car j’ai peur que l’inflammation ne s’installe définitivement et ne me quitte plus avant Compostelle. J’ai vu un médecin qui m’a prescrit des anti-inflammatoires plus puissants et des anti-douleurs, j’en prends depuis 8 jours mais j’arrête demain. Pour l’instant je vais continuer par étapes de 20 à 30 kilomètres en espérant que ça passe, sinon je suppose que je prendrais un temps de repos complet à nouveau. « Aucun malheur n’est sans bonheur » dit Maître Eckart : je me suis fait une raison et je vois le bon coté des choses. En tout cas mon état d’esprit a fortement changé. Bien sur c’est frustrant de devoir retenir ses pas, surtout parce que je perds le contact chaque fois avec les gens que je rencontre. Mais par contre cela me permet de vivre un autre pèlerinage : je visite les églises et les chapelles sur le chemin, je marche lentement, je discute avec les gens, je profite beaucoup plus du paysage. C’est une grosse différence avec celui qui veut absolumenent abbatre ses trente kilomètres par jour. Et puis je dois dire que je me sens profondément bien sur la route, alors je ne suis pas du tout pressé de rentrer en Belgique.

Après le Vélay, la Margeride et le Gévaudan, j’ai terminé la traversée du massif central par l’Aubrac. L’Aubrac c’est grandiose. On est sur un plateau montagneux entre 1200 et 1400 mètres d’altitude, l’horizon se déroule à l’infini. On traverse une succession de petits monts pelés et battus par un vent très violent. C’est une région très rude, des grandes étendues solitaires, juste quelques pins qui tentent de survivre au vent et au froid. C'est un paysage tout à fait lunaire. En hiver on ne rigole pas ! D’ailleurs à partir de novembre les chemins sont interdits aux randonneurs.

Après l’Aubrac je suis redescendu dans la vallée, en traversant des grandes forêts de châtaigniers. La lumière d’automne est vraiment belle, l’air est doux et avec cette impression particulière à l'automne. Avec les feuilles jaunes et le soleil c’était vraiment magnifique. En quittant la montagne pour la vallée je suis passé de l’Auvergne à la région Midi-Pyrénée. Quelque part je me sens plus à l’aise dans la plaine : il y fait meilleurs, le terrain est plus plat, le paysage est très verdoyant, il y a beaucoup de grandes forêts (châtaigniers surtout, des chênes aussi). En longeant le Lot je passe dans les plus beaux villages de France : Conque et sa superbe abbatiale romane, Saint Come d’Olt, Estaing. A Conque je suis arrivé trempé le dimanche juste pour la messe de 11 heures : j’avais campé à dix kilomètres de là et j’ai été pris dans un orage terrible. Arrivé à Conque je n’ai pas pu me sécher de suite et, vu la quantité de châtaignes ingurgitées, j’avais la diarhée. Je suis donc arrivé assez affaibli et j’ai dormi toute l’après-midi. Du coup je n’ai pas vraiment visité ce qu’on appelle le plus beau village de France.

J’ai rencontré Sarah un matin après mon départ de Saugues. On se connaissait déjà car l’épicière lui avait parlé du Belge avec sa tendinite tandis qu’un groupe de français avec des ânes m’avaient parlé de la jeune suisse qui marchait seule depuis les cantons du juras. Sarah est très jolie, elle a 25 ans. Quand je lui ai demandé pourquoi elle faisait ça elle m’a dit que ça n’allait plus trop bien dans sa vie, en particulier avec son copain, et qu’elle avait eu envie de partir. On voit bien qu’elle vit une démarche importante. Comme on est tous les deux lents on se retrouve de temps en temps aux étapes. Il y a aussi Stefan, un allemand grand et costaud, très croyant et qui est aussi lent que moi car il s’arrête dans chaque église. Il est parti ce matin mais fait le détour par Rocamadour, donc je le retrouverai sûrement dans quelques jours. Il y a Luis, un Portugais qui est sur la route depuis cinq ans, avec des haltes dans les monastères ou dans sa famille. Il prépare son grand pèlerinage qui sera Jerusalem. Il y a aussi Eva, une jeune allemande non croyante mais dont le regard brûle vraiment d’une flamme intérieure. Elle a maintenant deux jours d’avance sur moi. Et puis j’ai rencontré Monique qui avait de gros problème aux épaules et à qui j’ai pu expliquer comment régler le sac : elle m’a dit qu’elle ne m’oublierait jamais tellement elle en était contente. Elle a trois jours d’avance (je le sais car elle laisse souvent des mots dans les livres de prières des églises). Et il y en a beaucoup d’autres. En fait on n’est pas tellement à poursuivre jusqu’à Compostelle, du coup on se parle entre nous des uns des autres. Il arrive même que deux personnes parlent entre elles d’une troisième qu’elles n’ont jamais vue mais dont elles ont chacune entendu parler !

L’autre jour je marchais dans la forêt de châtaigniers. Avec les feuilles jaunes et les éclats de soleil sur les pierres mouillées, la scène était un peu féérique. J’ai eu la sensation de voir la scène de l’extérieur, comme si une autre personne s’étonnait et s’émerveillait de me trouver à ce moment dans un si bel endroit. J’avais déjà eu dans le passé cette impression d’arrêt sur image, lors de moments privilégiés ou on dirait qu’on se voit de l’extérieur pendant un bref moment, comme si le temps s’arrêtait. Mais là ce n’était pas une sensation fugace, cette présence extérieure que je ressens comme profondément bonne, est restée longtemps et je pouvais la faire revenir à volonté. J’ai eu le temps de comprendre que cette personne extérieure, en fait, c’était une partie de moi-même. C’est vraiment une grande grâce, je crois que l’expression se trouver soi-même est en train de prendre tout son sens pour moi.

Pour le logement je vais souvent dans les gîtes d’étapes communaux : pour un prix de 6 à 10 euros on a un lit en dortoir, une douche et une cuisinne. Aussi les salles paroissiales quand je trouve un curé mais ça ne marche pas toujours : une fois un curé m’a dit qu’il n’aimait pas faire concurrence aux gîtes ! C'est le monde à l'envers et ça montre bien un problème de la route du Puy : les pèlerins sont souvent considérés comme des touristes. Tant que possible je loge dans les monastères bien sur. J’ai été magnifiquement accueilli chez les Ursulines à Saint Come d’Olt notamment. Il y avait trois vieilles sœurs dont le regard pétillait de gentillesse. Et aussi à Estaing, à l’hospitalité Saint Jacques ou on s’est retrouvé comme dans une famille avec Stefan, Sarah, Luis et d’autres. Je dors parfois sous tente aussi. La plus belle nuit c’est quand j’avais mis la tente au milieu de nulle part, dans l’Aubrac, tout au sommet d’un petit mont. J’avais l’impression d’être dans le désert. J'aurais pu être sur la lune ! Le soir j’ai vu un coucher de soleil somptueux, le ciel est devenu orange et ensuite mauve de plus en plus profond. J’ai admiré le spectacle jusqu’aux premières étoiles, vers 8 heures, puis ensuite avec le vent à decorner les bœufs j’ai été obligé de m’abriter dans la tente. Le vent perçait la tente et le sac de couchage mais malgré les rafales la tente a tenu bon et je n’ai pas eu trop froid. Mais j’ai bien compris qu’un peu plus tard dans la saison il ne fallait pas essayer de dormir dehors en Aubrac (en fait j’ai eu de la chance pour la traversée de l’Aubrac car même en octobre il peut y faire très froid).

Bon j’en reste là pour l’instant. Il me reste 1300 kilomètres jusqu’à Compostelle. Vu mon rythme actuel je pense arriver à la mi décembre, sauf si je dois m’arrêter à nouveau pour un repos complet. En discutant avec des anciens je ne me tracasse pas vraiment du froid en Espagne car à part en Gallice on m’a dit que c’était un froid sec. A choisir je préfère ça aux grosses chaleurs de l’été.

C'est tout pour maintenant. Cette après-midi je vais visiter un peu la ville et aussi parler avec une dame quebecoise très gentille qui réside au Carmel et qui acceuille les pèlerins.

Alors comme chaque fois : Ultreia! Et que Saint Jacques nous garde et nous protège.

Pierre