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Maître Eckhart, 1260-1328, Jean Bédard, 2005-03-17, 4.0 étoiles
Maître Eckhart
A la fin de sa vie, Maître Eckhart (mort en 1328), grand théologien de l'ordre des dominicains, se voit suspecté d'hérésie et entraîné dans un procès. Accuser un dominicain d'hérésie, c'est le comble quand on sait que cet ordre avait justement pour mission de lutter contre l'hérésie ! Et il ne s'agit pas de n'importe quel dominicain : c'st le plus grand de leur théologien, Maître Eckhart lui-même, qui fut titulaire de la chaire de théologie à la Sorbonne (la plus haute distinction).
L'heure est grave. Et l'église est bien malade en cette époque. On brûle beaucoup sur les bûchers. Protéger les pauvres ou les femmes (ce que fait Maître Eckhart) est suspect. Raisonner ou faire appel à l'intelligence est mal vu, l'église estime que la science et l'intelligence s'opposent à la foi. Le peuple doit d'accepter l'enseignement de l'église. Mais le problème c'est que cet enseignement est en réalité la négation du christianisme ! Les prélats se préoccupent uniquement de leur richesses et soumettent le peuple à l'impôt, le pape exilé à Avignon dispute les pouvoirs temporels aux empereurs, les franciscains prêchent la soumission de la raison dans les affaires de la foi et s'opposent aux dominicains dans des mesquines luttes politiques... bref l'église est réellement très malade.
C'est dans ce contexte que maître Eckhart se voit suspecté dans certains enseignements d'avoir été trop loin, notamment dans ce qui ressort comme une identification de l'homme (et la femme) "détaché" avec Dieu. Bien sûr Maître Eckhart parle toujours dans ses sermons de l'homme juste, de l'homme "délié" dit Jean Bédart, c'est-à-dire qui s'est détaché de tout le créé en lui. Cette homme peut alors dans son âme se fondre dans la déité, tout comme le bois se transforme en feu lorsqu'on l'enflamme. Mais ses accusateurs n'ont cure de ces subtilités, les motifs du procès sont essentiellement politiques on l'a compris.
Maître Eckhart, soutenu par son ordre, se défend d'une part en disant que les propositions suspectes sont soit mal-traduites, soit mal-comprises : il prêchait parfois en langue vulgaire (c'est-à-dire en allemand) pour le peuple et ses sermons étaient notés puis traduits en latin par des gens qui ne pouvaient pas toujours pénétrer sa doctrine. Ensuite, afin de protéger son ordre, Maître Eckhart fait une déclaration de fidélité totale à l'enseignement de l'église et affirme être prêt à rétracter toutes propositions qu'on lui montrerait fausse. Il ajoute que si il s'est trompé c'est sans intention et par erreur et que donc il ne peut être traité d'hérétique. Le procès traîne, Maître Eckhart vieux et proche de la mort ne sera plus là pour entendre la sentence, plus diffamente pour ceux qui la proclament que pour maître Eckhart lui-même.
Des siècles plus tard Maître Eckhart est revenu sur le devant de la scène, grâce à Jung notamment qui en parle souvent dans ses livres. Peut-être que ce vieux mystique, homme d'église, peut réconcilier ceux qui croient en l'homme et qu'on accuse de psychologiser la foi avec l'église ? Jean Bédart visiblement est un fan. Grâce à son livre la voix de ce mystique rhénan se fait entendre à travers les siècles. Le livre se présente comme un roman. Cependant, comme le dit Libris Québécis, la trame romanesque est faible et les enseignements du maître Eckhart, même légèrement édulcorés, n'en reste pas moins difficilement accessible. Le livre est agréable à lire, ce qui fait passer la pilule, et d'un point de vue historique, théologique et philosophique, il m'a beaucoup appris.
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