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Le Rêve d'un homme ridicule, Fedor Michaïlovitch Dostoïevski, 2004-08-10, 4.0 étoiles

Et je combattrai !

J’ai eu du mal au début avec ce récit. Peut-être est-ce du à Markowicz (c’est la première fois que je lis Dostoïevski traduit par lui). Ça surprend : Il m’a fallu le lire deux fois avant de m’habituer au style, ensuite une troisième fois pour me laisser pénétrer de ce formidable petit récit utopique. Les mots semblent jaillir de la bouche d’un homme exalté et passionné, avec des répétitions de mots, des successions de virgules, des envolées lyriques,… bref c’est du Dostoïevski à l’état brut.

En résumé : un homme qui se sait ridicule et pour qui tout est égal décide de se suicider. Mais voilà qu’il fait un rêve qui le transforme complètement : dans ce rêve il est emporté sur une autre terre, une terre où le péché n’a pas fait son apparition et où l’amour règne sans partage. La description de ce paradis est un pur bonheur, je vous donne un aperçu : « tout irradiait une espèce de fête, une gloire grandiose, sacrée, enfin atteinte. Une mer d’émeraude caressante clapotait doucement sur la rive et l’embrassait avec amour, un amour évident, visible, presque conscient. De grands arbres splendides se dressaient dans toute la splendeur de leurs frondaisons et leurs feuilles innombrables, j’en suis persuadé, me saluaient de leur bruit doux et caressant et semblaient prononcer je ne sais quelles paroles d’amour […]»

Mais notre homme introduit les germes du péché dans le cœur des habitants : ça commence avec la sensualité, la cruauté puis la jalousie. Finie l’harmonie : les habitants se divisent en nations, l'une contre l'autre. La science devient la valeur suprême - ils finissent par préférer la connaissance des lois du bonheur au bonheur lui-même -, ils bâtissent des temples dans lesquels ils vont pleurer sur leur ancienne vie. En fait ils ne savent pas que retrouver le bonheur du début ne dépend que d’eux, qu’il ne faut rien d’autre que l’amour pour cela.

Après son rêve notre homme ridicule est changé du tout au tout. Il répète inlassablement son rêve, sa vision d’un monde meilleur, la seule condition pour y arriver étant : « Aimez vous les uns les autres ». On se moque de lui, mais il n’en a cure. « Un rêve ? Qu’est-ce qu’un rêve ? Et notre vie, elle n’est donc pas un rêve ? Je dirai plus : tant pis, tant pis si cela ne se réalise jamais, et s’il n’y a jamais le paradis (cela, quand même, je le comprends !), eh bien, moi, malgré tout, je continuerai de prêcher […] Ce qui compte : aime ton prochain comme toi-même, voilà ce qui compte – c’est tout, et il ne faut rien d’autre ».

Pour répondre à FI, il y a « suspicion » de références bibliques, en effet et comme toujours car c’est un élément très important de l’oeuvre de Dostoievski (cfr en particulier l’insertion d’un chapitre entier de Saint Jean - la résurrection de Lazare - dans Crime et Châtiment, ce qui est unique dans la littérature). Mais ici, ça se limite au message d’amour qui est assez universel et pas spécifique à la bible. Parlons plutôt d’un récit utopique, d’une utopie qui rend meilleur et pour laquelle le narrateur choisit de combattre : « Et je combattrai. Et si seulement tout le monde le voulait, tout se construirait d’un coup. ».

Un très beau petit livre. Comme Daniela je le relirai de temps en temps.

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