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Préface, traduction et notes à La Bible d'Amiens de John Ruskin, Marcel Proust, 2011-08-15, 5.0 étoiles

Nos pères nous ont dit...

Un des plaisirs de l'existence est de retourner par une belle journée d'été à Amiens, d'apercevoir Notre-Dame qui surplombe immuablement la ville, de s'approcher du portail et de saluer mes vielles amies qui y trônent au portail. A ce moment, je ne suis pas seul, outre les fantômes du passé (réminiscences de mes visites précédentes), outre les mendiants à la porte dont parlaient déjà Ruskin et Proust (Ruskin nous explique pourquoi il faut leur donner une pièce), à ce moment donc je ne suis pas seul car j'ai à mes côté deux amis : John Ruskin et Marcel Proust, qui ont aimé ce que j'aime et qui en parlent avec génie dans ce livre absolument inclassable dont je vous dirai quelque mots.

Ce livre est un dialogue entre deux génies, mais un dialogue dans lequel nous sommes invités et si notre propre sensibilité entre en résonance, alors ce produit ce petit quelque chose magique, lorsque notre esprit se trouve élevé par la rencontre de "maitres" qui nous ouvrent un chemin. John Ruskin était un personnage éclectique, un critique d'Art, un philosophe, un mystique de la nature et de la Beauté (c'est lui qui a fait découvrir Turner par exemple). Marcel Proust s'était entiché de John Ruskin (Ruskin était très à la mode en France à l'époque) et avait décidé de traduire "La Bible d'Amiens". Mais c'est bien plus qu'une simple traduction, Proust connaissait l'oeuvre de Ruskin entière, il fait entrer ce livre de Ruskin en dialogue avec toute l'oeuvre du "prophète" anglais, il dégage ainsi le génie de Ruskin en y ajoutant sa propre intelligence pénétrante et son talent d'écrivain.

Au final on a un livre étonnant : une préface de Proust, un texte de Ruskin largement annoté par Proust et une autre préface, à celle de Proust cette fois, par un professeur de la Sorbonne qui éclaire très bien l'intérêt que Proust portait à Ruskin (par exemple le narrateur de "A la recherche.." serait une incarnation de Ruskin). Ce qui fait qu'on se retrouve avec trois niveaux de notes dans le texte : celles du préfacier, celles de Proust (qui parfois mangent la plus grande partie d'une page) et celles de Ruskin. Mais l'édition est très bien faite, et c'est un plaisir de jongler avec ce dialogue multiple.

Que dire du texte de Ruskin ? C'est génial, par moment. Mais je ne suis jamais arrivé à tout lire. Chaque année, je le reprend, et chaque année il me tombe des mains, plus au moins à la moitié du chapitre "Sous le drachenfeld". L'auteur s'emmêle en effet parfois dans des histoires interminables, que ce soit sur les origines de la chrétienté, ou sur tel Saint dont il raconte l'histoire (pour l'édification des jeunes filles anglaises) alors que juste avant il nous avait promis qu'il allait nous parler d'un autre Saint (mais qu'il oublie ensuite). Mais ce livre était destiné à être le premier volume d'une série "Our fathers have told us", qui aurait retracé l'histoire de la chrétienté en illustrant chaque tome par une cathédrale.

Qu'à cele ne tienne : le texte de Ruskin est truculent, certains passages sont excessivement instructifs (par exemple, sa description de la statue de Marie Mère de Dieu, dans lequel il commence pas se moquer des protestantes, puis décrit les différentes sorte de Madone dans l'art religieux). Le chapitre qui est consacré à la cathédrale fait absolument référence dans les guides touristiques, d'ailleurs Ruskin est toujours abondamment cité, ne fusse que pour ses envolées lyriques célèbres (sur la vierge dorée par exemple).

Bref c'est un livre absolument incontournable pour ceux qui aiment la cathédrale d'Amiens. Mais aussi pour ceux qui s'intéressent à Proust, ou qui veulent découvrir deux auteurs dont le style d'écriture et l'intelligence est vraiment hors norme.

Au moment de partir, je me tourne toujours vers le portail central, je regarde une dernière fois la statue du Beau Dieu (exemple de tendresse sculptée dit Ruskin, bellâtre à figure bovine dit Huysman), et je pense à Ruskin qui cite Saint Luc et qui nous explique que le Beau Christ nous bénit et qu'il nous dit, à l'instar de l'homme riche, "Fais ceci et tu vivras". Et je repars renforcé dans mon amour pour la cathédrale, renforcé dans ma foi de chrétien, reconnaissant à Ruskin et à Proust et aux bâtisseurs du moyen-âge.

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