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Le Maître et Marguerite, Mikhaïl Boulgakov, 2003-12-06, 5.0 étoiles
Le chef-duvre, testament spirituel dun très grand auteur.
En apprenant lhistoire de ce livre et de son auteur, le lecteur prend conscience du privilège qui est le sien de lire ce chef-duvre. Boulgakov, tombé en disgrâce, méprisé et insulté par le régime de Staline, reste fidèle à ses principes et souffrira pour écrire ce livre qui est son testament spirituel. Il a écrit son chef-duvre sur une période de 10 ans, il le termine quelques jours avant sa mort, ayant écrit jusquà 6 versions. Triste destin pour lauteur mais heureusement son chef-duvre connaîtra un sort plus favorable : écrit sans aucune chance dêtre publié, il est ressorti en 1966 et connaît un succès énorme.
Par une journée de mai 19xx, un rédacteur dun magazine anti-religieux explique à un poète en vogue que Jésus na jamais existé. Un étranger très bizarre (voir description truculente à la fin de ma critique) sétonne de cette nouvelle quil qualifie comme étant de la plus haute importance. Mais il se voit obligé de les contredire : il a lui-même rencontré Jésus et leur raconte la confrontation de celui-ci avec Ponce Pilate à laquelle il a assisté personnellement. Cet étranger, le lecteur sen apercevra vite, cest le Diable en personne. Il est accompagné de trois acolytes et il va mettre une fameuse pagaille en ville.
Sur le passage de Satan et de ses acolytes, les moscovites se retrouvent face à des situations absurdes et exceptionnelles. Et pourtant ils nen continuent pas moins à se conduire comme si de rien était. Ces gens ont perdu jusquà la faculté de sétonner. Ainsi la receveuse de Tramway qui impassible rabroue le chat de Satan lorsque celui-ci veut acheter un ticket, sous prétexte que le tram est interdit aux animaux. Les disparitions subites, les séjours en hôpital psychiatrique se multiplient, lauteur attaque ainsi bien sur les pratiques courantes à lépoque. Mais surtout, à travers ces gens incapables de voir labsurdité de ce quil leur arrive, incapable de sétonner de leur manque détonnement (cest de Camus je crois), Boulgakov critique une société totalement fermée à toute dimension métaphysique.
Un deuxième volet de ce livre excessivement riche est constitué par le récit de la rencontre de Pilate et Jésus. Lauteur prend des libertés avec lévangile, il nous présente un Jésus peureux et faible. Pilate va à lencontre de son intime conviction et sacrifie Jésus à la raison politique, ce qui pour lauteur est très grave. Pour Boulgakov en effet, lhomme doit toujours rester fidèle à sa conscience, obéir à son moi intime. Pilate sera punit par sa conscience, à linstar du Raskolnikov de Crime et Châtiment, il peut dire : « Cest moi-même que jai tué ». Seule la miséricorde divine pourra venir à son salut. Boulgakov fait dailleurs dire à Jésus sur la croix que la lâcheté est le pire défaut de lhomme.
Le troisième volet est celui du Maître, qui écrit un roman sur Pilate et Jésus, et de Marguerite, son amante. Le personnage du Maître est largement autobiographique. Il est dailleurs fascinant que dans une ultime réécriture de son roman Boulgakov va priver le Maître de la lumière. Pourquoi ? Le Maître va manquer de courage en brûlant son manuscrit et abandonnant le combat contre la censure et le pouvoir, au contraire de Jésus qui refuse tout compromis avec Pilate. Dans la réalité il semblerait que Boulgakov ait céder à une compromission en écrivant un ouvrage sur Staline. Quant à Marguerite son destin est daccompagner lêtre aimé.
Bref on a ici un roman formidable (et fantastique : lauteur excelle vraiment dans les scènes de diableries, cfr le bal de Satan, le voyage de la servante nue sur un homme transformé en cochon, et autres épisodes mentionnés par Pendragon). Boulgakov est un conteur exceptionnel et son récit est truculent, passionnant, parfois hilarant. Lédition de poche est très bien annotée et cest utile car lécrivain utilise énormément de symboles, jusque dans les noms de chaque personnage, les dates, et de plus les références historiques et culturelles abondent. Très amusant à lire donc, le livre est en même temps une réflexion passionnante sur le bien et le mal, la compromission avec le mal (Marguerite qui participe au bal de Satan), les compromissions avec le pouvoir, la lâcheté, la nécessité absolue dêtre fidèle à ses convictions et limpératif moral de la lutte contre le mal qui est essentiel pour Boulgakov.
Comme promis voici le passage au début du livre où on fait la connaissance de Satan. Notez le terme étranger (« Bref : un étranger ! »), que la propagande appliquait systématiquement aux individus louches et suspects despionnage. En outre le terme étranger représente traditionnellement le Diable dans le domaine russe, lis-je dans la note en bas de page.
« Par la suite alors quà vrai dire, il était déjà trop tard -, différentes institutions décrivirent ce personnage dans les communiqués quelles publièrent. La comparaison de ceux-ci ne laisse pas dêtre surprenante. Dans lun, il est dit que le nouveau venu était de petite taille, avait des dents en or et boitait de la jambe droite. Un autre affirme quil sagissait dun géant, que les couronnes de ses dents étaient en platine, et quil boitait de la jambe gauche. Un troisième déclare laconiquement que lindividu ne présente aucun signe particulier. Il faut bien reconnaître que ces descriptions, toutes tant quelles sont, ne valent rien.
Avant tout le nouveau venu ne boitait daucune jambe. Quant à sa taille, elle nétait ni petite nu énorme, mais simplement assez élevée. Ses dents portaient bien des couronnes, mais en platine à gauche et en or à droite. Il était vêtu dun luxueux complet gris et chaussé de souliers de fabrication étrangère, gris comme son costume. Coiffé dun béret gris hardiment tiré sur loreille, il portait sous le bras une canne, dont le pommeau noir était sculpté en tête de caniche. Il paraissait la quarantaine bien sonnée. Bouche légèrement tordue. Rasé de près. Brun. Lil droit noir, le gauche on se demande pourquoi vert. Des sourcils noirs tout deux, mais lun plus haut que lautre. Bref : un étranger. [..]
Un Allemand.., pensa Berlioz. Un Anglais.., pensa Biezdommy, et qui porte des gants par cette chaleur ! »
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