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Jésuites. Les conquérants, Jean Lacouture, 2010-07-27, 5.0 étoiles
La fantastique histoire des jésuites.
La compagnie de Jésus, ordre religieux connu sous le vocable "les jésuites", est créé par Ignace de Loyola et reconnu par le pape Paul III en 1540. Après une histoire passionnante et mouvementée, l'ordre est dissout en 1773 par le pape Clement XIV : l'église devait être bien malade pour supprimer un ordre qui avait justement comme vux principal l'obéissance au pape ! Heureusement la compagnie sera réhabilité plus tard.
Cette monumentale "multibiographie" comporte deux tomes. Le premier tome, intitulé "Les conquérants", couvre les deux siècles et demi, de la création au début du XVIème jusqu'à la dissolution par le pape, une dissolution commanditée en fait par les puissances européennes pour des raisons politiques.
Ce livre, bien qu'imposant (le premier tome fait cinq cent pages), se lit avec passion, comme un roman. Je rends hommage à l'auteur qui est un biographe accompli : sous sa plume, chaque fait historique prend l'allure d'un récit, le rythme est enlevé, ce qui fait que le plaisir d'apprendre l'histoire se confond avec le plaisir de lire. Il faut dire que c'est un sujet en or : une histoire passionnante, parsemée de personnages admirables. Autre aspect admirable de ce livre, c'est que même si, comme je le suppose, Lacouture a un a-priori favorable pour les jésuites, ça ne l'empêche pas de chaque fois d'argumenter et d'expliquer les deux côtés de l'affaire dans les nombreuses polémiques et attaques qui eurent la compagnie pour cible.
L'intérêt théologique n'est pas en reste : on apprend beaucoup sur les jésuites, et sur les questions spirituelles de l'époque également : le jansénisme et son opposition au concept de libre arbitre tel que prôné par les jésuites. La réforme, le concile de Trente ou les théologiens jésuites s'illustrent, la contre-réforme. Le probabilisme et la casuistique, spécialité des jésuites, dont Bossuet disait "Mettre un cousin sous les coudes de pécheurs" !
Les chapitres les plus intéressants sont ceux consacrés aux missions des jésuites. François-Xavier en Inde d'abord, puis au Japon. François-Xavier évolue au contact de la civilisation raffinée du Japon, et impose ce qui sera la marque de fabrique des jésuites : le respect des autres cultures, l'ouverture et l'inculturation (adapter le christianisme aux coutumes locales). Le personnage le plus célèbre est Mattéo Ricci, qui pénètre en Chine, et qui parviendra jusqu'au palais royal. Des jésuites réussiront très bien également au Vietnam, ils sont devenus célèbres pour avoir transcris le Vietnamien en caractère alphabétique. A propos de l'inculturation, Lacouture n'élude pas les questions importantes. Même si on aime Ricci pour son esprit d'ouverture, et même si l'intérêt scientifique énorme de sa mission est évident, d'un point de vue théologique il reste la question si sa tentative de rapprocher le christianisme et le confucianisme n'était pas illusoire.
Le sommet du livre, et peut-être de l'histoire des jésuites, c'est le récit des missions au Paraguay. Les fameuses "réductions" Guarani. Il s'agit de l'établissement de communauté d'indiens de type théocratiques égalitaires. Une sorte d'utopie, du colonialisme, certes mais qui a permis à des millions d'indiens d'échapper à l'esclavagisme et au pillage généralisé organisé par les Portuguais en Amérique du Sud. Certains diront maintenant que si les jésuites ont sauvés les indiens d'un génocide, c'était au prix d'un "ethnocide". N'empêche que tant d'abnégation, de courage face au martyre, ça force le respect. Cet épisode est, je me répète, absolument passionnant. Il y a un film avec Tom Cruise qui relate cela ("Missions").
Il ne s'agit pas ici de résumer ce gros livre de cinq cent pages, qui nous fait voyager en Espagne, à Rome, en France, en Asie et en Amérique du Sud et qui nous fait côtoyer tout les grands noms de cette époque, à commencer par les humanistes tel Erasme et Michel-Ange, Luther et Calvin, les têtes couronnées et leur amantes, des papes, parfois des dissolus qui font la honte de l'Église, des intellectuels hors-pairs qui se sont livrés à des joutes féroces : ainsi, les attaques pleines de verve mais aussi de mauvaise foi du janséniste Pascal contre les Jésuites. Je me contenterai de dire que cet ouvrage est absolument indispensable pour l'amateur d'histoire et de religion. Vivement le deuxième tome.
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