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Nouvelles de Petersbourg, Nicolas Gogol, 2007-02-10, 4.5 étoiles

Un régal

Contrairement à Sib j'ai été ébloui par "La perspective Nevsky" qui est ma nouvelle préférée du recueil. Je dois dire que je raffole du style de l'auteur. Ces nouvelles foisonnent de descriptions minutieuses qui en deviennent parfois oiseuses mais sont tellement savoureuses. L'humour et l'ironie sont inégalables même si il nous faut bien les notes en bas de page pour les comprendre dans le contexte de l'époque. L'auteur abuse de digressions ; il n'hésite pas à lacher le fil du récit (qui est toujours ténu) pour s'embarquer dans une description minitieuse d'un personnage ou d'une scène de rue.

Dans "La perspective Nevsky" Gogol démarre avec deux pages d'anthologie, un long racontage débridé de deux pages sur la fameuse avenue Nevsky et les gens qui la fréquentent. Puis brusquement Gogol braque son projecteur sur deux personnages comme pris au hasard et le récit dévie sur deux courtes et tragiques histoires d'amour qui n'ont pas de lien entre elles. L'effet produit est gigantesque, je ne l'oublierai pas de si tôt. La nouvelle "Le manteau" est du même acabit : l'histoire d'un humble fonctionnaire copiste, humilié par tout son bureau dont la vie est illuminée par le projet d'acquérir un nouveau manteau. On croirait du Dostoievski ! Le recueil comprend aussi les célèbres nouvelles "le Nez" et "le journal d'un fou" critiquée sur le site dans d'autres éditions. Signalons enfin que cette édition comprend deux versions de la nouvelle "Le portrait", ainsi qu'une préface, des notes et un matériel didactique sur Gogol et son oeuvre.

Gogol c'est vraiment particulier mais pour celui qui aime ce genre c'est réellement incontournable. Je vous livre ici un extrait, dans lequel Gogol introduit un personnage secondaire et se livre à une petite digression absolument savoureuse d'une demi-page avant de l'abandonner et de passer à autre chose. C'est caractéristique de son style et de sa manière de procéder, personnellement j'aime beaucoup :

«Le propriétaire entra, accompagné du commissaire de quartier, dont, comme on sait, l'apparition est plus désagréable aux petites gens qu'aux riches la visage d'un quémandeur. Le propriétaire de la modeste maison où vivait Tchartkov était l'une de ces créatures dont sont habituellement faits les propriétaires de la Quinzième Ligne de l'île Vassilievski, de la rive droite ou du lointain Kolomna - créatures fort répandues en Russie et dont on a autant de mal à définir le caractère qu'à préciser la couleur d'une veste usée. Dans sa jeunesse il avait été capitaine et braillard, il avait aussi traîné dans l'administration, il s'y entendait à manier le fouet, savait mener sa barque, jouait à l'élégant, et était parfaitement idiot; devenu vieux, il avait confondu toutes ces caractéristiques bien tranchées en je ne sais quelle grisaille indéfinie. Il était déjà veuf, déjà à la retraite, il ne prétendait plus à l'élégance, ne se vantait plus, ne cherchait querelle à personne, n'aimait plus rien que boire son thé en racontant des niaiseries ; il arpentait sa chambre, mouchait sa chandelle ; à la fin de chaque mois il faisait avec application le tour de ses locataires pour toucher ses loyers; il sortait dans la rue, sa clé en main, pour regarder le toit de sa maison ; chassait régulièrement le concierge de l'écurie où il s'était caché pour dormir ; bref, c'était un retraité à qui il ne reste plus, après une vie tumultueuse et quelques mauvais passages, que la plus plate des routines».

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