Les Livres
Par datePar genrePar auteurTournanteLivre HomePierre's Home

Le Principe d'humanité, Jean-Claude Guillebaud, 2007-01-04, 4.0 étoiles

L'homme remis en question

La thèse de l'auteur c'est que nous assistons à une révolution biologique et génétique et que cette révolution met en péril ce qu'il appelle "le principe d'humanité". Cette révolution génétique, couplée au libéralisme et à la révolution numérique, produit déjà des dérives importantes et le risque est réel que la "technoscience" (et sa dérive le scientisme, une croyance absolue dans la science) couplée à la recherche du profit ramène l'homme au rang de machine ou d'animal, ou , c'est encore pire, qu'on en vienne à introduire une gradation dans le rang d'humanité (ce qui ouvre la porte toute grande à un retour de l'eugénisme).

L'auteur touche à beaucoup de choses dans cet essai épais et détaillé. En vrac quelques idées maîtresses : il s'attaque aux cognitivistes qui veulent nous faire croire que notre cerveaux n'est qu'un "super-logiciel". Il pointe le retour en force de l'eugémisme justifié par beaucoup de scientifiques (légalisation du test de dépistage de la trisomie, voila qui pose problème au principe d'humanité). De manière très intéressante il accuse les multinationales détenteuses de brevets sur les OGM de néo-colonianisme. De manière un peu anecdotique il met en garde les nouveaux adeptes du bouddhisme en Occident contre une compréhension nihiliste du bouddhisme (dissolution de soi). On rit (jaune) devant les délires de la deep-ecology qui, en promouvant les droits des animaux, arrive en fait à ramener l'homme au rang de l'animal. Plus dangereux : la réelle inféodation du scientifique à la logique de marché et au profit (brevets et autre start-up juteuse, on parle de génodollar)

Mais ou le livre est vraiment intéressant c'est quand l'auteur montre le risque d'une science qui se transforme en idéologie : un simple exemple avec le "mysticisme" de l'ADN. On "sacralise" nos gènes, puisqu'elles seules déterminent notre destin (l'auteur prend pour exemple la soi-disant gène de l'homosexualité, une idée apparemment séduisante mais en réalité dangereuse ). L'auteur touche une doigt une idôlatrie scientifique couplée à l'ultra-libéralisme et qui n'est pas sans conséquence. Les enjeux sont énormes et souvent mal compris: si nos gènes déterminent tout on perd la notion de culpabilité, ce qui est dans l'air du temps, mais aussi celle de libre arbitre. On en revient en fait au pire moment de la bourgeoisie capitaliste qui se reposait sur les théories de Darwin et de Malthus pour justifier l'exclusion et la pauvreté.

Bref on assiste à un véritable retour en arrière, se basant sur une croyance aveugle dans la science et un dédain pour toute approche philosophique et religieuse de l'homme on arrive à une véritable abdication de la pensée et à un déni des valeurs humaines telle que respect du faible, l'altruisme.

Mais attention, plutôt que de triomphe du matérialisme on peut tout autant parler de naufrage ; la découverte de l'infiniment petit remet la notion de matériel en question, l'ADN et son langage codé entraîne le matérialiste dans une religiosité dangereuse (le language qui donne la vie, ça ne vous dit rien ?). Il y a une sorte "intentionalité vaine" inscrite dans l'ADN, auquel on donne le nom de hasard (mais finalement pourquoi ne pas dire Dieu ?). Bref rien n'est simple.

Ce livre est excessivement détaillé et bien documenté, l'auteur touche une masse de chose de façon pertinente. Et il a le mérite d'attirer notre attention sur un débat capital qui passe largement inaperçu (manque d'intérêt, complexité des questions, abdication des politiques devant la raison économique, respect exagéré pour la science, jusqu'au prochain accès de fièvre aphteuse du moins). On parle beaucoup de génétique pour l'instant : cfr la procréation assistée et la fascination pour les théories cognitives (dans l'Economist de décembre il y a un dossier entier sur le sujet, effrayant en réalité). mais on ne réalise pas toujours la portée et l'ampleur des questions éthiques que cela pose. La plus grande erreur qu'on puisse faire est de laisser le débat au main des scientifiques, c'est clair ! Il faut d'une manière ou d'une autre parvenir à réconcilier les matérialistes et les spiritualistes, telle est la conclusion de l'auteur.

Retour à la liste

Nombre de visites: 255