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L'idiot, Fedor Michaïlovitch Dostoïevski, 2004-01-02, 5.0 étoiles

Bienheureux les simples d’esprit

Au moment ou le prince Mychkine débarque du train à Saint Petersbourg - il arrive de Suisse où il était soigné pour "Idiotie" - le lecteur embarque lui dans le train grande vitesse Dostoïevskien pour un trajet chaotique de près de mille pages. Il en sortira hébété, comme à la sortie d'un rêve tourmenté. Un rêve, c'est exactement de ça qu'il s'agit : ce livre parle directement à l'inconscient du lecteur. Un rêve chaotique, mouvementé, excessif et exalté. A la fin, exactement comme au sortir d'un rêve, le lecteur devra tenter de rassembler les lambeaux épars de sa lecture pour donner un sens à ce voyage dans l'inconscient.

En apparence l'histoire principale est celle du prince Mychkine, un jeune homme de 26 ans, qui rentre au pays après un séjour de cinq ans en Suisse. Il y était soigné pour « Idiotie ». Bien qu’officiellement guéri, le jeune prince se comporte de manière singulière : il est profondément humble et doux, il fait confiance à tout le monde et est toujours parfaitement sincère. Il a en outre la particularité de toujours voir le bon coté chez les gens qu’il côtoie et de s’intéresser sincèrement à eux. Dans l'entourage du prince se trouve quelques personnages secondaires haut en couleur, dont l'auteur comme à son habitude force allègrement le trait afin de mieux frapper l'imagination du lecteur. Pour le reste : c'est la tourmente. Mille pages de digressions, de dialogues ahurissants, une avalanche continuelle d'évènements complètements inattendus. Le tout forme un ensemble en apparence parfaitement incohérent, et d'ailleurs à la fin du livre le lecteur aura du mal à refaire la trame du récit, une fois quittée l'agitation du livre il devra réfléchir et tenter d'assimiler ce chaos suscité en lui.

Au niveau du style, personne n'égale Dostoïevski : c'est époustouflant de force, écrit à la serpe, un jet continu qui nous est lancé à la face. Surprenant : par moment le narrateur s'adresse directement au lecteur, pour lui faire part de sa difficulté à relater tel évènement, ou encore de sa difficulté à dépeindre tel personnage car celui étant par trop ordinaire il est inapte à frapper l'imagination du lecteur ! J'aime beaucoup.

Au niveau des idées, on retrouve la conviction de l'auteur que seul la foi en l’amour du Christ pourra sauver le monde contre les grands dangers de l’époque que sont l’athéisme, l’occidentalisme, le libéralisme, le socialisme et le catholicisme (principalement en réaction contre le pouvoir de Rome). Quelques passages d'anthologie aussi : la dithyrambe du prince contre la peine de mort entre autres.

Certains théologiens (Romano Guardini en tête) ont vu dans la personne du prince Mychkine une représentation romanesque et symbolique du Christ. La similitude est évidente : une source de bonté et d’humilité qui se trouve confrontée au monde des hommes, l’affrontement de la bonté et du mal. Tout comme la mission du Christ sur terre, le retour du prince au pays se solde par un échec cuisant et total. De plus la forme du récit possède des similitudes avec l'évangile de Saint Jean que l'auteur connaissait par coeur dit-on : intemporalité, annonce continuelle d'une catastrophe imminente, suite d'évennements indissolublement liés à la vérité.

Dostoïevski vénérait profondément la personne du Christ, mais cette croyance n'est pas exempte de doute (il l'exprime par l'épisode autobiographique du Christ de Holbein). Le problème est celui d'accommoder une foi indéniable - car ressentie dans l'âme - avec la noirceur du monde et l'évidence de la souffrance. C'est la question posée par Job et qui n'a pas trouvée de réponses (car il n'y en a pas ?). C'est un thème récurrent dans l'Idiot, et il est illustré admirablement par un fait divers réel que l'auteur reprend dans le récit : il s'agit d'un homme qui poignarde son ami pour lui voler sa montre et qui, au moment d'abattre son couteau, s'exclame : "Bénis-moi Seigneur, pardonne-moi au nom du Christ".

Pour être honnête il faut mentionner que ce livre présente quelque points faibles et que par moment le scénario "ne tient pas la route". Mais ceci n'est pas grave car on est dans un rêve, pas une histoire. Dans un moment d'exaltation très Dostoïevskien, je n'hésite pas à dire que ce roman est, après "Crime et Châtiment", le plus grand roman jamais écrit. Et j'ajoute immédiatement qu'après avoir lu Dostoïevski il n'y a plus rien d'autre à lire ! Alors embarquez sans tarder dans le train, pour faire ou refaire ce voyage en compagnie du prince, de la famille Epanchkine, des Ivolguine, de Lébédev et des autres. Bon voyage !

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